From Kaos – Synchronicity I, l’interview

From Chaos - « Synchronicity I », l’interview
« Du chaos naissent les étoiles », entretien avec Brice Leclerq

Onze.
Onze, c’est le nombre de titres qui composent « Synchronicity I », un nombre qui pourrait paraitre anodin, mais qui, pour les initiés, symbolise à lui seul l’ambiance qui émane du premier album de
From Kaos. Un album chargé d’une énergie brute, sombre. Dont la composition et le rendu font écho à une maturité certaine doublée d’une envie de renouer avec des sonorités plus authentiques. Un album qui reflète l’homme, et qu’il a composé, comme la musique qu’il aimerait lui même écouter. Cet homme, c’est Brice Leclerq, et s’il est notamment connu pour son jeu de basse avec des groupes comme Dissection, Satyricon ou encore Nightrage, c’est en multi-instrumentiste qu’il vient nous présenter son projet solo, From Kaos.

  • Bonjour Brice, merci encore de nous accorder de ton temps. Un plaisir de te revoir revenir sur la scène avec ce nouveau projet qui a attisé la curiosité de beaucoup. Je te propose, pour commencer, de nous parler de ton parcours personnel. De tes premiers pas dans la musique, en passant par les formations pour lesquelles tu as pu jouer, jusqu’à la création de ton propre projet. Peux-tu nous raconter ce cheminement ?

Et bien… je me rappelle clairement du jour à tout a commencé, je devais avoir autour de 5 ans. Mon papa, à l’époque, dans les années 80, écoutait de la musique sur des cassettes. Certaines m’ont marqué, notamment Rebel Yell de Billy Idol ou encore Gimme all ur lovin de ZZ Top. J’ai tout de suite ressenti un certain effet en moi, et dès lors, j’ai été accro.

J’ai d’abord acquis une culture avec le hard rock de l’époque, puis migré, progressivement, vers l’extrême. À 14 ans, j’ai débuté la guitare, avec des groupes de thrash, notamment Metallica. C’est dans l’année de mes 16 ans que j’ai découvert le Black Metal. L’album qui m’aura le plus marqué, à l’époque, est probablement « Those of the Unlight » des suédois de Marduk. J’ai adoré l’ambiance, l’atmosphère et les émotions. Tout ça, ça me parlait beaucoup plus. Sans toutefois laisser tomber le death. D’ailleurs, Death, reste l’un des groupes qui aujourd’hui sont toujours influents pour moi.

Après quelques années à jouer de la musique dans des groupes de potes, j’ai eu ce sentiment intime que je n’allais pas pouvoir y arriver dans cette France où je me sentais à l’étroit. À 19 ans, je suis donc parti aux Etats-Unis, à Seattle. Durant deux ans, je n’ai pas vraiment joué, mais le réel but de ce départ était de me recentrer sur moi-même et de faire le point sur ce que je voulais réellement faire.

Brice Leclerq - From Kaos
« Un nouveau départ vers la Suède…. »

J’ai donc pris la décision de faire de la musique, et par faire de la musique, j’entends faire de la musique de manière professionnelle, et j’ai pris un nouveau départ vers la Suède. Un pays qui m’attirait particulièrement en raison de son énorme potentiel en matière de musiciens, de studios, ainsi que par la richesse de sa scène. J’ai joué sur le premier album de Nightrage, (avec notamment Gus G, qui officiera par la suite en tant que guitariste pour Ozzy Osbourne). Et pour la première fois, de la basse. Un instrument que j’ai découvert à ce moment, et j’ai vraiment adoré cela. Je me retrouvais vraiment dans la basse, avec son côté acoustique & rythmique, elle deviendra mon instrument de prédilection. Après avoir quitté Nightrage, j’ai vu sur le site internet de Dissection qu’ils étaient à la recherche d’un bassiste.

C’est un ami avec un caméscope qui m’a motivé, personnellement je n’y croyais pas vraiment. Je lui ai quand même acheté une cassette, et il m’a enregistré en train de jouer Unhallowed. Une semaine après, je recevais un appel de Jon (Nödtveidt, le chanteur de Dissection), qui m’a dit être particulièrement intéressé par ce qu’il avait entendu. S’en est suivie une audition, avec de très longues discussions, mais tout s’est fait très naturellement. J’ai été pris dans Dissection, joué la basse sur l’album Reinkaos, ainsi que sur la tournée Rebirth Of Dissection. 

Malheureusement, lorsque l’on ne s’entoure pas des bonnes personnes, surtout dans cette industrie, cela ne peut que mal se passer. Nous étions des musiciens, mais pas des businessmen. J’ai donc pris la décision difficile de quitter le groupe.

« je cassais des cordes et des médiators, à quasiment chaque concert…»

Je n’aurai pas espéré meilleur groupe que Dissection, en Suède. J’ai eu cette chance là et en suis
pleinement conscient. La période qui a suivi a été difficile pour moi, j’avais quitté une formation où je me sentais très bien artistiquement parlant, mais j’avais vu arriver la faillite. J’ai néanmoins énormément appris de ce projet. J’ai par la suite décidé de reprendre, et ai envoyé une candidature à Satyricon  pour une tournée canadienne/américaine. Le jeu y était radicalement différent. Quand je joue de la basse, j’essaie de m’adapter à la musique que je joue. Et cette manière était beaucoup plus brutale dans Satyricon, je cassais des cordes et des médiators à quasiment chaque concert. À la basse, tu t’adaptes au batteur, Frost étant plus brutal, je me calquais dessus.

En parallèle, j’ai fait mes études dans le son, et y ai rencontré Daniel, qui était l’un de mes profs. J’ai donc rejoint son groupe, Ages. Étant parti de Suède, il était compliqué de mener ce projet à bien… J’ai par la suite eu toutes sortes d’emplois, mais je ne me suis jamais senti bien dans l’un d’eux, je n’étais pas fait pour.
À cette période, j’avais essayé d’écrire. Mais… cela ne se passait pas très bien. Je me suis quand même dit « laisse ça de côté, et garde-le pour plus tard » C’est en Juin 2023 que j’ai décidé de reprendre l’écriture, et là, ça se passe bien. J’avais cette désagréable impression de passer à côté de ma vie et un désir ardent de revenir à quelque chose de plus artistique. J’ai donc entamé une rupture conventionnelle avec mon employeur pour pouvoir me consacrer à From Kaos.

« En l’espace de 8 mois, j’avais quasiment un album »

J’ai contacté mon vieil ami Janne (Jalomaah), batteur de Dark Funeral. Je connais bien sa vision du rythme : complexe, mais dynamique. Je voulais, pour les passages rapides, une approche agressive de la batterie, il a écouté ma musique, et a immédiatement dit oui.

Entre Avril et Novembre 2024, il a enregistré la batterie dans son propre studio, chez lui, en Suède. Tu sais, quand tu fais de la musique assez chargée d’énergie, tu as souvent des déconvenues techniques… Et nous avons eu quelques surprises désagréables, avec certaines pièces de notre matériel qui ont cramé, sans raison. Je changeais ma musique en fonction des parties batteries, pour moi le coeur du hard rock et du metal c’est la batterie, mais tout en respectant les démos.

Synchronicity I est sorti le 18 décembre dernier, je suis très satisfait du résultat, j’ai composé la musique que j’aimerai entendre. J’aimerai ne pas ressembler à Dissection, ce n’est pas la même personne derrière, c’est aussi une forme de respect. Je pense qu’il faut prendre des influences, mais faire sa propre musique.

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  • Peux-tu nous parler plus en détail de ton propre projet, From Kaos. Ton processus créatif, tes inspirations, ce que tu as cherché à exprimer au travers de cet album ?

Tout d’abord, je pense qu’il est important de préciser que Synchronicity I a été mixé, composé et écrit comme le faisaient les groupes précurseurs des années 70, à la manière d’une répétition dans un studio. Je trouve qu’il y a de bons côtés dans le digital, mais j’ai voulu cet album le plu analogue possible. Sans utiliser de sample à la batterie, sans simulateur d’ampli.

À mon sens, le rock et le metal se doivent d’être joués, sinon, ce n’est pas respectueux vis à vis des gens qui vont l’écouter.

À la manière d’un coup de gueule, j’avais la volonté de revenir un petit peu sur ce qui se faisait avant. La sur-utilisation du digital, ça ne m’a pas du tout parlé. J’entends souvent une grosse différence en son, et ai cette vision très authentique et très vraie de la musique. Dans la musique que j’entends aujourd’hui, il me manque cette spontanéité.

Petite anecdote, l’ampli basse que j’ai utilisé pour l’album, a été utilisé par le bassiste du groupe Magma. J’aime quand la musique vit, et ce n’est pas possible en s’enregistrant et en coupant toutes les dix secondes. On peut avoir quelque chose de qualitatif, mais authentique, vrai, joué « comme avant ». Concernant la batterie, Janne joue et enregistre hyper rapidement. Pour respecter son travail et mettre en avant ses qualités de batteur, je ne voulais pas surcompresser, ou lisser. Encore moins faire rentrer la partie dans des grilles…
Je suis déjà en train de composer le même opus, et compte bien rester sur la même chose, en faisant évoluer la musique, mais sans toutefois changer de style.

« J’essaie de m’affirmer. Il faut se sortir du lot ! »

Pour ce qui est des textes, j’aime ce qui demande à l’auditeur un peu de réflexion et d’interprétation. J’aime les textes qui ne sont pas figés, et n’ont pas qu’un seul sens. Ceux qui sont assez sombres & plus ou moins reliés à la religion. Par exemple, In The Waters Of Time, résume très bien cet aspect de ma musique. Mon inspiration est assez variée, parfois, certaines réflexions philosophiques internes, parfois des faits réels tirés de films d’horreurs, …

La musique de films d’horreur, notamment chez nos voisins italiens, par exemple Fabio Frizzi qui a composé la BO du film Frayeur, ou Vincenzo Tempa. Je les trouve très doués pour rendre des atmosphères sombres et malsaines, tout en gardant un coté jazz ou même disco.

Ces compositeurs arrivaient, avec leur musique, à amplifier l’image. Autre exemple, dans, The Vision And The Curse : je parle de la rencontre entre Aleister Crowley et un démon nommé Choronzon, dans le désert du Sahara, en 1909.

Concernant l’artwork de l’album, j’ai demandé à un monsieur surnommé InfeKt, illustrateur et tatoueur à Clisson, de me produire sa version de la croix du chaos, avec sa touche abstraite. Puis j’ai fini moi même en illustrant. Ce qu’on voit, le rendu final, c’est un partage entre lui et moi.

Synchronicity I, premier album de From Kaos
From Kaos - "Synchronicity I"
  • Pour terminer, j’aimerai aborder deux dernières thématiques. La première, compte tenu de ton expérience personnelle, quel regard portes-tu sur la scène actuelle? Est-ce que tu relèves des différences avec ce que tu aurais pu connaître il y a quelques années en arrière? Et la seconde, penses tu à trouver des musiciens pour t’accompagner, et libérer l’énergie de l’album, sur scène ?

Dans les années 90, dans la scène Black, tu avais des groupes ne voulant pas être connus, quitte à utiliser des prods assez pourries, ils faisaient leur musique, c’est tout. À l’époque, je me rappelle que les groupes avaient de cesse de se démarquer les uns des autres, ils ne voulaient pas que l’autre groupe leur ressemble, et vice-versa.

Maintenant, c’est tout le contraire, il y a une volonté de ressembler à l’autre. On a peur de ne pas être dans les cases, car lorsque l’on n’est pas dans les cases, on ne vend pas.

Reinkaos en est l’exemple type, il (Jon) voulait aller au bout de son truc, au bout de son projet artistique, et l’album a reçu un accueil plutôt froid.

« Je ne veux pas faire quelque chose qui ressemble à quelque chose qui ait déjà marché ».

Néanmoins, je trouve qu’il y a des choses intéressantes dans la scène actuelle, après peut-être une période de « traversée du désert » (2010-2020). Il y a aussi une scène émergente très intéressante aux US avec des groupes comme Blood Incantation, ou encore Blackbraid.

Concernant le live, j’y pense. Très honnêtement, j’ai même des idées pour jouer live. Mais je préfère avancer étape par étape. Je viens juste de sortir l’album, je cherche à faire connaitre ma musique.

J’aimerai faire travailler des gens que j’estime et que je connais, en qui j’ai confiance, en qui j’entends le talent et qui colleraient à ce que je fais.

Lorsque tu fais de la musique sombre, jouer en festival, en pleine journée, ne te permet pas de transmettre la même énergie, et pourtant, c’est l’essence même du live, transmettre cette énergie au public. J’ai aussi une certaine vision du live, à mon sens, en 2024, il n’est plus trop utile de se faire connaitre en jouant dans tous les bars. Je préférerai des plutôt des lieux insolites, si j’ai les moyens, jouer en Islande ou encore dans une mine par exemple, devant un public de passionnés, qui sont là pour ma musique.

Merci encore à Brice, pour le temps qu’il a su nous consacrer. Nous vous remettons une dernière fois le lien vers son bandcamp, ses différents réseaux sociaux : Instagram & Facebook  ainsi que sa chaine YouTube et lui souhaitons le meilleur pour la suite.

By Clément